Nous y voilà, après les festivités place aux résolutions, souvent accompagnées de leur abstinences. C’est ainsi que depuis quelques années certains se lancent le défi de cesser de consommer de l’alcool durant un mois. Essayons de faire le point sur cette pratique et ses conséquences sur le marché en France.

Alors que nous nous apprêtions à nous retrouver en en famille et entre amis pour les fêtes de fin d’année Prévention et Modération (P&M) nous rappelait  l’importance d’une consommation modérée, se félicitant au passage que la connaissance par les Français des repères de consommation continue de croître rapidement (+7% en un an) et d’appeler à la poursuite des efforts en la matière. 

En effet le Baromètre annuel de l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives (OFDT) sur la connaissance des repères de consommation à moindres risques nous apprenait dans sa dernière enquête publiée en novembre dernier que 83,8% des Français âgés de 18-75 ans déclaraient que, pour limiter les risques pour sa santé, le nombre maximum de verres d’alcool à ne pas dépasser sur une journée était inférieur ou égal à 2 verres (contre 76,8% en 2020). 

Les 18-35 ans sont les plus concernés

De quoi donner raison à ceux qui ont misé sur le Dry January, rebaptisé chez nous Défi de Janvier. Comme le prouverait un sondage OpinionWay pour JNPR (marque de boisson sans alcool lancée en 2020 par Valérie De Sutter voulant se rapprocher du gin. Le nom JNPR vient de la baie de genièvre en anglais « Juniper berries » ). Selon l’enquête 75% des français connaissent le concept du “Dry January” et 29% ont décidé ou envisagent d’y participer. Un chiffre qui s’élève à 38% pour la catégorie des 25-34 ans.

Les raisons évoquées sont diverses, avec un axe santé particulièrement prégnant dans les réponses: 
– 45 % pour être plus en forme, en meilleure santé
– 32 % pour contrebalancer les excès des fêtes
– 25 % pour économiser de l’argent
– 23 % pour prouver que l’on peut le faire, par défi
– 21 % pour perdre du poids
– 21 % pour réduire sa consommation que jugée trop importante
– 16 % parce que l’on boit déjà peu d’alcool

Un autre sondage, YouGov pour Martini, rapporte quant à lui que près de 7 français sur 10 consomment du sans- alcool et 38% d’entre eux sont des buveurs réguliers de boissons sans-alcool (plusieurs fois par semaine et/ou mois). 

Cette tendance grandissante est motivée par deux points : éviter les effets indésirables de l’alcool et faire attention à sa santé. Deux bonnes raisons qui arrivent en tête suivies de la préférence du goût pour les boissons sans alcool.
Résultat, lors d’un repas en famille, à l’apéro ou même lors d’un brunch, le sans-alcool est la nouvelle tendance qui s’invite sur nos tables, drivé principalement par les 18-24 ans – à 30% – qui déclarent d’ailleurs ne pas aimer le goût de l’alcool !

D’ailleurs si les boissons sans alcool sont toujours plus présentes dans notre quotidien, il y a des façons et des moments privilégiés pour les consommer.
Avec ou sans alcool, pour les Français, l’apéritif reste LE moment de consommation préféré. En effet, pour 39% des sondés, l’instant de consommation privilégié de sans alcool reste celui de l’apéritif, en famille ou entre amis. Pour 73% des personnes sondées, la consommation se fait à domicile : chez soit pour 54% ou chez des amis ou de la famille pour 52% d’entre eux.
Un instant de consommation suivi de très près – à 38% – par les soirées entre famille ou entre amis. Pour 30% des sondés, les repas restent le moment idéal pour consommer du sans alcool, avec ou sans food paring.

Le CHR gagnant du No/low ?

De son côté CGA by NielsenIQ a réalisé son analyse de la consommation de boissons hors domicile en CHR (cafés, hôtels, restaurants, clubs). Il en ressort que les Français (52%) entendent réduire considérablement ou légèrement leur consommation d’alcool au cours des 12 prochains mois, tandis que 16 % ont déjà commencé à modérer leur consommation hors domicile. Ils s’orientent de plus en plus vers les boissons No Low, les mocktails (sans alcool).  

On y apprend également que 41 % des personnes sondées boivent désormais des cocktails sans alcool lorsqu’elles sortent, et 34 % optent pour une bière sans alcool ou à faible teneur en alcool. Il semblerait en effet que les cocktails sans alcool ou à faible teneur en alcool sont désormais ancrés dans les habitudes des consommateurs. 
Près de la moitié (46 %) des consommateurs de cocktails affirment boire des cocktails sans alcool ou à faible teneur en alcool chaque fois ou presque chaque fois qu’ils sortent, et 21 % des personnes achètent davantage de ces produits par rapport à l’année précédente. 

Alors si cette consommation de boissons alcoolisées va certainement rebattre les cartes du secteur il semblerait bien qu’elle ne soit pas un problème pour le monde du CHR qui pourrait en tirer bénéfice ! 
En effet, les consommateurs de No Low en CHR sont plus réguliers (53 % fréquentent au moins une fois par semaine, +9 points par rapport au visiteur moyen en CHR. Ils dépensent 86 euros par mois lors de leurs sorties en CHR, soit plus que la moyenne de 79 euros, leur revenu moyen étant aussi plus élevé (+791 euros par rapport à la moyenne).

Julien Veyron, directeur des solutions clients pour la France, a déclaré : « Nos données OPUS montrent que les consommateurs français se préoccupent plus de leur santé, ce qui a d’importantes répercussions sur leur consommation d’alcool. Associée à un intérêt croissant pour les cocktails, cette évolution offre des opportunités intéressantes pour les fournisseurs et les opérateurs de mocktails et de cocktails sans alcool. Mais cette tendance évolue rapidement et, à mesure que les fournisseurs développent leurs portefeuilles de produits sans alcool ou à faible teneur en alcool, il est essentiel de bien comprendre les motivations et les préférences des consommateurs. Notre étude a pour but d’aider à identifier les parcours de croissance dans ce secteur dynamique du marché ».

L’enquête OPUS et le ‘France Mixed Drinks Report’ de CGA fournissent même des informations détaillées et intéressantes sur les boissons sans alcool ou à faible teneur en alcool :
Les hôtels et les boîtes de nuit sont les deux canaux les plus importants pour la consommation du No Low.
L’ananas, la fraise et la framboise sont les trois arômes préférés des consommateurs lorsqu’il s’agit de mocktails.
Les consommateurs sont prêts à payer en moyenne 6 euros pour un cocktail sans alcool ou à faible teneur en alcool lorsqu’ils sortent, soit 4 euros de moins que pour un cocktail alcoolisé.

Les consommateurs de sans alcool sont des buveurs d’alcool…

Bien entendu ces chiffres sont le fruit de sondages auprès des consommateurs mais comment se traduisent-ils dans la réalité ? Pour y répondre Kantar Wordpanel, leader des études consommation, nous livre un bilan.

Le Défi de Janvier (bah oui il va falloir s’y faire !) semble connaître un engouement sur ces 3 dernières années. Le sans alcool (bières et spiritueux) enregistre un record historique entre 2021 et 2022 avec une hausse de 27%. Bien que Kantar constate une légère baisse en janvier 2023 (7% d’acheteurs en moins versus même période en 2022). 
Cependant, sur la même période, on note une baisse de la consommation des boissons alcoolisées équivalentes (bières et spiritueux) donc en relatif le sans alcool performe sur ce fameux mois. 12% des bières achetées sont sans alcool, et 5% des spiritueux sont sans alcool. Au total, 33% des foyers français ont acheté du sans alcool (Bières + Spiritueux) sur octobre 2023. Kantar note que ce défi semble séduire davantage la cible des moins de 35 ans qui réalise la meilleure performance d’achat de boissons sans alcool.

Mais attention, si l’on regarde de plus près c’est 8% de moins que l’an dernier sur la même période. Le trafic du sans alcool est en baisse mais cela peut aussi s’expliquer par les très hauts résultats enregistrés l’année dernière. Les bières sans alcool est la catégorie la plus en baisse, -9,3% de trafic vers 2022.
Pour Kantar finalement, avec le contexte inflationniste et la reprise des sorties hors domicile, ces chiffres ne sont pas très marquants et le sans alcool ne semble pas prendre davantage de place cette année.

Et pour l’avenir ? Si l’on s’en fie aux données fournies par l’IWSR, l’institut spécialiste des tendances du marché de l’alcool dans le monde, référence pour ce secteur, le sans alcool a progressé de +115% (Taux de Croissance Annuel Composé) de 2017 à 2022 et +35% de 2021 à 2022.  Ses prévisions en 2022 étaient que l’activité des spiritueux non-alcoolisés va poursuivre sa croissance et représentera 568M d’euros dans le monde et 22M euros en France en 2027.
Cela en raison de l’intérêt croissant de la part des consommateurs, qui recherchent la modération et l’alternance et non pas l’abstinence. En effet 78% des consommateurs de spiritueux sans alcool consomment également de l’alcool.

Les producteurs investissent dans le sans alcool

Il n’empêche que le marché réveille les producteurs. De spiritueux par exemple avec l’un des leaders mondiaux comme Pernod Ricard qui a aujourd’hui son pôle « sans-alcool », basé à Thuir dans les Pyrénées-Orientales. Là où est fabriqué le célèbre apéritif Byrrh, le centre de R&D du groupe travaille particulièrement sur les aromatiques et a déjà mis au point, 40 ans après le lancement de son pastis sans alcool le Pacific, le Suze Tonic sans alcool, le Ceder’s « gin » sans alcool, le Cinzano Spritz Zéro, mais aussi le gin Seagram’s 0,0 % pour le marché espagnol. Et très prochainement une grande marque du groupe devrait à son tour être disponible en France en version 0% d’alcool.

Le vin n’est pas en reste et dernièrement c’est Bordeaux Families qui a présenté sa nouvelle unité de désalcoolisation, à Sauveterre de Guyenne (33), par distillation sous vide. En production depuis le 4 décembre, après un investissement de 2,5 millions d’euros elle est en capacité de désalcooliser partiellement ou totalement 250 hl de vin par jour. Elle est destinée à travailler des produits pour le groupe, mais aussi en tant que prestataire de services pour d’autres producteurs. 

Autre acteur du vin a se lancer sérieusement dans l’aventure, le groupe coopératif gersois Vivadour a annoncé la création de sa filiale Chai Sobre, un centre de prestation de services pour la desalcoolisation. Son lancement officiel se fera sur le prochaine salon Wine-Paris au mois de février.

Réalisé en association avec la start-up Moderato, spécialiste du vin désalcoolisé, l’objectif est d’en faire le premier centre d’excellence dans ce domaine. Un investissement de 1M d’euros pour ce nouvel équipement réalisé sur le site de la cave de Vic Fezensac qui sera en service au deuxième semestre 2024. Sa capacité de production est de 100 000 hl/an par distillation sous vide. Il sera également un centre de R&D pour la qualité des vins sans alcool avec son laboratoire.