La France est une star dans le monde des producteurs de spiritueux et l’Armagnac incontestablement l’un de ses fleurons. Invitation à la découverte de cette eau de vie de vin trop souvent méconnue.

La première information que tout le monde n’a pas forcément c’est que l’Armagnac est la plus ancienne des eaux-de-vie françaises. Elle est le fruit de la rencontre de 3 civilisations; la romaine avec la culture de la vigne, l’arabe avec l’invention de l’alambic et la gauloise avec celle du fût. Il s’agit en effet d’un spiritueux obtenu par la distillation en continu de vin blanc dans un alambic à plateau armagnacais, et vieilli plusieurs années en fûts de chêne.

L’Armagnac est ainsi produit dans le Sud Ouest de la France, au cœur de la Gascogne et mentionné pour la première fois en 1310 pour ses vertus thérapeutiques. Maître Vital Dufour, Prieur d’Eauze et de Saint Mont énumère en effet 40 vertus de cette « Aygue Ardente » dans son livre « Pour garder la Santé et rester en bonne forme »…

Au fil des siècles les techniques de vieillissement s’améliorent et l’Armagnac connait un vrai succès commercial. Mais le phylloxéra frappe le vignoble d’Armagnac en 1870, réduisant considérablement sa taille. Des décrets en 1909 et 1936, vont établir la région de l’Appellation d’Origine Contrôlée Armagnac et son cahier des charges d’élaboration.
Après la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à lors principalement vendu en fût, l’Armagnac est de plus en plus mis en bouteilles permettant de garantir son authenticité, mais aussi de répondre à une demande croissante.

Un chai d'Armagnac
Dans le chai

Des vignes, un alambic, du bois

Voilà pour l’histoire. Pour ce qui est du spiritueux en lui même il faut savoir que l’Armagnac est avant tout un produit de vigneron. Les maisons d’Armagnac possèdent très majoritairement leur vignoble et font leur vin.

Sur 15 000 hectares de vignes plantées un bon tiers est identifié pour produire expressément l’Armagnac (mais en 2021, il n’a été produit que sur 1 878 ha, contre 2 420 ha en 2018). Les vignobles se trouvent sur trois départements: le Gers, les Landes et le Lot-et-Garonne. Et ce pour 4 cépages principaux, L’Ugni-blanc (le plus classique), La Folle Blanche (cépage historique, pour des eaux de vie florales), le Baco (adapté aux terres sableuses des Landes, pour de la rondeur et du fruité) et le Colombard (mais surtout utilisé pour les vins des Côtes de Gascogne).
Le cahier des charges accepte d’autres cépages anciens, mais peu utilisés. Le Plant de Graisse (qui revient un peu toutefois), la Clairette de Gascogne, le Jurançon blanc, le Meslier Saint François ou le Mauzac blanc et rosé.

Une fois le vin réalisé, avec une certaine acidité et un faible degré alcoolique, il est donc distillé au plus tard le 31 mars de l’année qui suit la vendange. Avant d’être mis à vieillir en fûts de 400 litres, issus pour l’essentiel des forêts de Gascogne ou du Limousin, à un taux d’alcool autorisé de 52% à 72% d’alcool, mais aujourd’hui le plus souvent compris entre 52% et 60%. 

S’il passe avec succès le contrôle de l’INAO (Institut National des Apellations d’Origine) après la première année d’élevage, il continuera sa maturation et pourra s’appeler Armagnac. Il n’y a pas de règle sur le temps de vieillissement, mais dans les faits c’est au minimum un an. C’est le Maître de chai qui décide de l’opportunité de l’interrompre. Certaines eaux de vie peuvent rester en fût 50 ans environ, voir plus encore, avant d’être mises sous verre, en « dame-jeannes », lorsque l’on estime que la qualité est au maximum. Ces bonbonnes magnifiques vont alors aller rejoindre leur chai spécifique, baptisé à juste titre le Paradis…

Le Paradis dans une maison d'Armagnac
Le Paradis


L’Armagnac commercialisé est ensuite le fruit d’assemblages de plusieurs eaux-de-vie issues de plusieurs récoltes (comme cela se fait principalement pour le Cognac) ou, spécificité de ce spiritueux, en millésimes, à savoir une seule et même année de récolte. Dans ce cas le spiritueux garde souvent son degré naturel de vieillissement, à savoir entre 40% et 48%, les assemblages étant plutôt réduits à 40%.

Le Haut, le Bas et le Ténarèze

Si l’Armagnac peut provenir de 3 départements, il est surtout divisé en trois crus: Le Bas-Armagnac, le Ténarèze et le Haut-Armagnac. Issus de terroirs différents ils permettent de donner une tendance organoleptique aux Armagnacs qui y sont produits.

Ainsi à l’ouest, posé sur une partie des départements des Landes et du Gers, le Bas-Armagnac, parfois appelé Armagnac Noir, est la partie la plus vaste avec 67 % du territoire d’Armagnac. Ici ce sont les fameux « sables fauves », du sol sablolimoneux, qui offre des eaux-de-vie réputées délicates et très fruitées.

Deuxième terroir avec un peu plus 30% le Ténarèze, autour de Condom, se trouve sur le nord-ouest du Gers et le sud du Lot-et-Garonne. Les sols  y sont argilo-calcaires, composés de boulbènes (limons argileux rougeâtres et de sables et cailloux), plus réputés pour la céramique que pour la vigne. Mais ils permettent de produire de belles eaux de vie, souvent puissantes et corsées.

Enfin, le Haut-Armagnac, également baptisé Armagnac Blanc du fait des  calcaires qui affleurent, se situe l’est du département du Gers et sur une partie du Lot et Garonne. La culture de la vigne s’y est développée au XIXè siècle en période de forte demande et quelques producteurs y maintiennent encore aujourd’hui la tradition armagnacaise.

Vignes du Bas-Armagnac

Le compte d’âge sous bois et le millésime

Le cépage et le terroir vont participer à la spécificité des vins qui seront distillés et de fait une partie du caractère des eaux de vie. Mais celles-ci vont acquérir leurs notes finales lors de leur vieillissement en fûts. Et pour tenter de s’y retrouver, des catégories d’âge ont été établies. Voici ce qu’elles signifient.

Commençons par celle qui justement n’a pas fait encore de passage « sous bois », La Blanche Armagnac. Cette eau-de-vie traditionnelle du Pays d’Armagnac a obtenu son A.O.C (Appellation d’Origine Contrôlée) en 2005 à la demande des producteurs qui ont toujours conservé une partie de leur distillat pour leur consommation personnelle.
Le 26 décembre 2014 un décret à ajouté des obligations, notamment celle d’être conservée en contenant inerte (le plus souvent une cuve inox) durant 3 mois minimum. Elle fait également l’objet d’un agrément lot par lot avec prélèvement, analyse et dégustation du produit par un jury expert avant toute commercialisation !
Il en résulte un alcool blanc, marqué par la rondeur, le fruité et la fraicheur. Parfait pour être consommé en cocktail, par exemple simplement allongée d’eau gazeuse ou de tonic.

Le VS, pour Very Special, (parfois appelé 3 étoiles) est une eau de vie dont la plus jeune de l’assemblage aura passé au moins 1 an en fût. Cet armagnac est généralement fruité et assez vif. Il se consomme sur glace ou en cocktail. 

Le VSOP, pour Very Superior Old Pale, est un assemblage d’eaux-de-vie dont la plus jeune a passé au moins 4 ans en fût. Ici le fruité s’accompagne d’un boisé fondu avec une finale plus longue et quelques notes épicées. Idéal en gastronomie avec un foie gras, des fromages à pâte persillée. En cocktail short drink, en Manhattan par exemple.

Le XO, pour Extra Old, est un assemblage d’eaux-de-vie dont la plus jeune a passé au moins 10 ans en fût. La bouche est plus ronde, les notes de fruits cuits et de fruits secs s’imposent dans un boisé élégant. A déguster avec un beau chocolat noir ou en cocktail short drink comme le Old Fashion.

Le Hors-d’âge est un assemblage d’eaux-de-vie dont la plus jeune a passé plus de 10 ans en fût. Les notes de fruits sont riches, pruneau, orange, poire pochée, des fruits secs, le tout dans une suavité, une élégance et une longue finale. A savourer sur un dessert comme une tarte aux pommes, un moelleux ou une mousse au chocolat et, pour les amateurs, en accompagnement d’un cigare.

Le Millésime est une eau de vie provenant d’une seule récolte (une année de référence qui est celle de la vendange). Ici le vigneron, le Maître de chai, vont travailler un distillat de vin avec une attention particulière dans le choix du fût, de sa chauffe, pour lui apporter un style défini, sur des élevages longs pouvant dépasser les 20 ans, voir bien plus !  

Fût d'Armagnac
Un futur millésime

Les chiffres de l’Armagnac

Si l’on compare l’Armagnac au whisky, à la vodka et même au rhum ou à son voisin charentais le cognac, il parait bien petit !
En 2021, le BNIA (Bureau National Interprofessionnel de l’Armagnac) annonçait une production à partir de 1 878 ha de vignes, contre 2 420 ha en 2018.
Quant au nombre de vignerons qui produisent de l’Armagnac il est également en baisse. De 490 en 2018 ils ont été seulement 377 en 2021.
Cela a toutefois permis de vendre 3,7 millions de bouteilles, dont près des 2/3 à l’étranger, les États-Unis étant le premier marché.
On y voit une similitude avec le cognac, avec une énorme différence d’échelle…. Le spiritueux charentais a vendu dans le même temps près de 225 millions de bouteilles ! 

A la fin de l’année 2022 Jérôme Delord, président du BNIA et Olivier Goujon, son directeur, ont présenté un plan d’action baptisé « Armagnac 2030 ». Celui-ci vise à entraîner l’eau-de-vie dans une dynamique vertueuse mais aussi augmenter la distillation avec comme objectif de doubler la production d’ici 5 ans. Une perspective ambitieuse quand on voit les difficultés climatiques qui affectent aujourd’hui le vignoble, mais l’idée est de ne surtout pas manquer, sachant qu’il faudrait produire 15 à 20 000 hectolitres d’alcool pur pour assurer le renouvellement des stocks. Aujourd’hui on estime qu’il reste en chai de quoi répondre à la demande durant une petite quinzaine d’années.

Notre point sur l’Armagnac s’achève sur ces notes d’espoir et d’ambition typiquement gasconnes. Nous reviendrons prochainement avec une véritable invitation à voyager au pays de l’Armagnac avec une visite de producteurs dans les différents crus. Restons connectés !