A Plonévez-Porzay, dans le Finistère, l’Hôtel de la Plage fête ses 100 ans. Sur quatre générations, dans le même famille, il raconte un siècle de tourisme balnéaire dans l’un des sites les plus enchanteurs de Bretagne.

Hôtel et plage. S’il est des mots forts qui s’associent à merveille, ceux-là sont à prendre au pied de la lettre. Et on comprend dès lors que rechercher sur la Toile un Hôtel de la Plage quelque peu imprécis relève du défi tant la vague de références tient de la déferlante. Car de Biarritz à La Grande-Motte et de Dieppe à Sète, on en compte à pleines poignées (de sable), de ces Hôtel de la Plage les bien nommés. Combien déjà pour la seule Bretagne, d’Audierne à Erquy et de Morgan à Damgan, en passant par Saint-Pierre-Quiberon, Saint-Marc-sur-Mer… et Plonévez-Porzay. Probablement le doyen du nom, puisque ancré là, sur la grève de Sainte-Anne-la-Palud, depuis les débuts du tourisme et qui plus est le seul à être exploité par la même famille depuis tout juste un siècle.

Cet Hôtel de la Plage nous ramène en effet à 1886, quand Jean-Baptiste Berville, modeste enfant trouvé, prend l’initiative de construire un hôtel donnant sur la vaste plage isolée de Sainte-Anne-la-Palud, loin de toute grande route. Les stations balnéaires de Saint-Malo ont déjà ouvert le bal quand le chemin de fer arrive à Quimper, en 1862, apportant des touristes d’autant plus séduits par le site qu’au-delà de sa beauté naturelle, s’y élève la chapelle la plus connue du Finistère. Le dernier dimanche d’août, son grand pardon rassemble en effet de 10 000 à plus de 100 000 fidèles, certains venant même de Brest à pied en deux ou trois jours. Une tradition millénaire qui a même inspiré Eugène Boudin, son « Pardon de Sainte-Anne-la-Palud » ayant été présenté à Paris en 1850.

Du petit hôtel sans eau au Relais & Châteaux

Le lieu reste sauvage, mais ce coin de côte a déjà la cote quand le 23 décembre 1924, Augustine L’Helgoualc’h, rachète à 33 ans l’Hôtel de la Plage. Avec son mari sabotier, elle exploite déjà au bourg de Plovénez-Porzay un relais de poste avec « écurie pour les attelages », « chambres pour voyageurs »… et bonne cuisine familiale. Laquelle va d’emblée contribuer à l’essor de ce « petit hôtel sans eau, sans lumière, au bout des terres », ainsi que l’écrit un de ses premiers clients parisiens. Dès 1928, Augustine confiera ainsi à un architecte quimpérois la création côté mer d’une salle de restaurant et de cinq chambres, ainsi que d’un garage, très apprécié à l’heure de la démocratisation de l’automobile.

Une carte publicitaire de la maison vante alors « les plaisirs sains et reposants de la grande nature dans un des plus beaux panoramas du monde sur la baie de Douarnenez ». Lequel panorama plut aussi aux « estivants » de l’été 1940. En pleine débâcle, l’hôtel est réquisitionné pour accueillir des réfugiés du nord de la France, mais les Allemands arrivent les premiers et s’approprient les lieux. Le bâtiment est littéralement vidé pour servir de bois de coffrage à la construction de blockhaus et de chauffage à la garnison. Il faudra attendre la mi-août 1944 pour que l’occupant déguerpisse, Augustine s’étant alors découvert une vocation d’agent de liaison, ainsi que le raconte Yves Le Coz, auteur d’un remarquable livret sur « 100 ans d’une belle histoire de famille » : « Elle proposa ses services et, à bicyclette par les sentiers de la côte, dans son costume borledenn, elle partit pour Crozon où résidaient sa fille et son gendre. Interpellée par les Allemands, elle expliqua se rendre au chevet de ses petits-enfants, dont elle venait d’apprendre la grave maladie, et craignait d’arriver trop tard pour les embrasser avant la mort. Les soldats compatirent et la laissèrent passer. Son gendre se rendit chez le contrôleur des contributions indirectes qui collectait les renseignements et lui décalqua une carte des défenses de la Wehrmacht. Elle reprit la route de Plonévez les calques bien roulés et cachés dans sa coiffe ».

La Bretagne par excellence

La tempête planétaire passée, l’hôtel était à reconstruire. Et ce fut ainsi qu’il rouvrit à la saison 1949, avec trente chambres et un restaurant panoramique qui, au-delà des pupilles, allait vite réjouir les papilles, Augustine ayant gagné ses galons grâce au royal coup de pouce de Sa Majesté Curnonsky. Le « prince des gastronomes » lui confia en effet la réalisation du dîner de gala du Salon des Arts ménagers de 1950. Servi sur nappes en broderies de Pont-l’Abbé et avec faïences quimpéroises, ce banquet ne pouvait être plus breton : de « sardines de l’été 1939 » en « coeurs d’oursins aux tartines de seigle », de « turbot au beurre blanc de Quimper » en « homard à la crème du Porzay », de « pré-salé de Crozon aux fonds d’artichauts de Roscoff » en « kouign aman de Douarnenez » et « glacé de fraises de Plougastel », autant en emporte le ventre…

La consécration n’attendra pas, puisque dès l’année suivante notre toquée coiffée verra briller son étoile au Michelin. Le Livre d’or ne s’endormira plus : d’Yvonne de Gaulle à Louison Bobet et de Mistinguett, à Bourvil, Gabin, Sagan, Johnny, Delon et tant d’autres, les signatures n’auront depuis cessé de se multiplier, jusqu’à celles de l’Aga Khan et François Mitterrand, passé par là en octobre 1994, trois mois avant sa mort. Manick, qui succéda à Augustine, racontera qu’ayant pris la main du président dans un moment de faiblesse, elle eut peur de le voir mourir dans sa maison et que son repas soit mis en cause.

Encore une femme de tempérament que cette Manick de la deuxième génération, entrée en scène en 1962. C’est à elle et Robert, son mari, que l’Hôtel de la Plage doit une nouvelle dimension. Meublées dans le design des années soixante, ses quarante chambres mériteront bientôt le standing quatre-étoiles des prestigieux Relais & Châteaux, nés en 1974, avec bien sûr piscine et tennis. Lorsque leur fils Jean-Milliau reprendra les clés du logis, en 1993, celui-ci fait plus que jamais recette(s), son épouse, Anne, et lui l’ayant encore restructuré en réduisant à dix-neuf le nombre de chambres.

Un couple au « toque-niveau »

Une rénovation en cache toujours une autre. La dernière en date se révèle toute fraîche, la quatrième génération venant de s’investir dans un anniversaire rare : celui du centenaire d’un Hôtel de la Plage qui peut se targuer de s’être toujours réinventé. A la barre depuis 2022, Charlotte, la rayonnante arrière-petite-fille d’Augustine a eu la main heureuse en rencontrant le cuisinier Yoann Noël, natif de l’île de Groix. Une île du Morbihan dont il sublime les ormeaux en persillade à sa table gastronomique, référencée dans le Michelin.

Jouant des terroirs breton à merveille, tant côté mer que côté terre, il marie ainsi la dorade royale à la betterave et le lieu jaune de ligne aux petits pois et à l’anis. Des alliances convaincantes jusqu’à celle de la fraise de Plougastel et du thé vert. A moins de leur préférer les crêpes servies sous le toit de chaume de la chaumière d’en face. Car l’hôtel a aussi sa crêperie, où Chantal se révèle une bonne disciple d’Anne-Marie Gourlan, une Maïté de la spatule qui, au bourg de Plonévez, l’aura manié cinquante et un ans durant dans un chaleureux décor breton.

Galettes de sarrasin et crêpes de froment : ici la Bretagne gourmande se décline sur tous les tons, avec tout de même la mer en tête d’affiche. Jusque dans les algues, qui s’interprètent au-delà de l’assiette, puisqu’elles sont la base de la cosmétique marine à la carte du spa de l’hôtel. Récoltées et traitées sur la presqu’île de Pen Lan, premier champ algal du monde, elles sont l’autre douce signature de cet Hôtel de la Plage qui, face à l’écume des vagues, mérite assurément une mention « très bain ».

Hôtel de la Plage
23 route de Sainte-Anne-la-Palud
29550 Plonévez-Porzay
Tel: 02 98 92 50 12
info@plage.com

L’Hôtel de la Plage en images

Photos: Jean-Luc Péchinot