On connaissait les chambres avec vue, en voilà avec livres. Avec les Hôtels Littéraires, les grands noms de la littérature donnent de l’esprit à des quatre-étoiles de charme qui invitent à les (re)lire.
« Une chambre d’hôtel a un pouvoir isolant presque illimité », assurait l’écrivain Valery Larbaud qui, comme tant d’autres gens de lettres, aimait écrire dans l’intimité d’une chambre n’étant pas la sienne. Un ailleurs inspirateur qui peut aussi l’être pour le voyageur. Les séjours hôteliers deviennent ainsi l’occasion d’une immersion dans l’univers d’un auteur, qui plus est quand le décor vous y invite. C’est ainsi le cas des six « hôtels littéraires » qu’a créés le collectionneur et bibliophile Jacques Letertre. Ex-banquier, cet homme d’une grande culture a eu la fertile idée de penser chacun de ses hôtels comme une invitation à vivre un écrivain au hasard d’un voyage à Paris, Rouen, Nancy ou Clermont-Ferrand. Quatre villes pour six écrivains, Paris et Marcel ayant ouvert le bal en 2013, à l’occasion du centenaire de la parution d’«à la recherche du temps perdu ».
Marcel Proust ! Autant dire le Graal de l’écriture pour le plus lettré des hôteliers : « C’est le plus grand du XXe siècle. » Situé à la confluence des pérégrinations parisiennes de l’écrivain, en plein quartier proustien, près de Saint-Lazare, son « Swann » a donné le ton. Au-delà de ses 80 chambres dédiées à autant de personnages, l’écrivain est présent dans tous les espaces de l’hôtel, à travers une mise en scène sensorielle de la vie et de l’œuvre de l’écrivain. On s’y extasie ainsi sur un étonnant tableau contemporain : l’intégrale de « La Recherche » sur un seul panneau, soit 3000 pages à voir à la loupe.

D’aquarelles en photos et de manuscrits et livres rares en d’objets d’art qui ont marqué l’époque, on se retrouve ainsi propulsé dans l’univers d’un de ces auteurs d’exception, la vie d’Arthur Rimbaud passant ainsi par la gare de l’Est, où il arrivait de Charleville. Dans une rue voisine, « courte comme un sonnet », « l’homme aux semelles de vent » y est ainsi décliné à travers ses écrits et plusieurs œuvres d’art dont un portrait signé d’Ernest Pignon-Ernest : « Je l’ai lu à 14 ans et ça m’a foudroyé. C’est le plus perturbant, le plus révolutionnaire des écrivains », s’emporte Jacques Letertre, qui a poussé l’ambiance rimbaldienne jusqu’à proposer de l’absinthe en son bar, avec tout le cérémonial lié à cette « muse verte » qui en fit voir à Rimbaud de toutes les couleurs.
Le Passe-muraille de Montmartre
De quoi perdre la tête… et traverser les murs, tel le Passe-muraille de Marcel Aymé, magnifié sous la forme d’une monumentale épreuve en plâtre signée par Jean Marais pour réaliser la statue en bronze de la place Marcel-Aymé. L’auteur des « Contes du chat perché » est en effet à l’honneur dans l’hôtel montmartrois du bibliovore : « On ne peut vivre là sans entrer dans l’univers de ce maître du burlesque et du fantastique. Comment sans lui imaginer la boucherie de “La Traversée de Paris”, au détour des courbes sinueuses de la rue Lepic, ou retrouver Martin, l’homme qui ne vit qu’un jour sur deux à l’angle de la rue Tholozé et de la rue Durantin. C’est à cet endroit que j’ai ouvert mon troisième hôtel parisien. »
Des chambres aux salons et d’affiches en livres, aquarelles et photos d’époque, on y plonge dans l’univers tendre et drôle de ce poète inspiré et pourtant aussi « notoirement méconnu » que l’est Alexandre Vialatte, sublimé sur une place ombragée de platanes au cœur de Clermont-Ferrand. Avec un superbe panorama sur la chaîne des Puys et les flèches de la cathédrale, l’apaisant quatre-étoiles propose un parcours découverte dans l’univers de ce voyageur et chroniqueur clermontois « d’une remarquable incongruité ».

Ainsi Jacques Letertre a-t-il exporté son concept d’Hôtels Littéraires au-delà de la capitale, le premier de province ayant été dédié à Rouen à son plus illustre natif, Gustave Flaubert. Niché à deux pas de la place où brûla la Pucelle, il sublime ce littérateur qui « sait allier style, concision et sens de la chaleur humaine ». Là aussi, c’est à la carte : quel endroit vous conviendra le mieux pour vous transporter dans ses pages. Le petit boudoir de Madame Bovary qui invite à la rêverie ou la bibliothèque de livres rares près le laquelle est suspendue la cage du perroquet Loulou ? A moins d’en emprunter un pour s’évader dans sa chambre, voire d’écouter l’une des « douches sonores » installées devant les plans historiques qui invitent à se mettre dans les pas de chaque auteur. Des itinéraires d’atmosphère qui vous invitent à musarder dans les lieux qu’ils ont aimés alentour.
C’est encore le cas avec l’Hôtel Littéraire Stendhal, ouvert à Nancy à l’automne dernier. Adossé au flanc même de la cathédrale, ce superbe bâtiment se révèle le parfait écrin pour s’épanouir dans la cité ducale et dans l’œuvre de ce romancier « sommet du roman français » et dont la devise « Il vécut, il écrivit, il vécut » s’illustre à travers la décoration italienne ou Empire de ses 41 chambres. Ses grands personnages y sont mis à l’honneur, de la Sanseverina à Julien Sorel et Mathilde de la Mole. Et pour en garder un souvenir, à chaque hôtel son livret, consignant une vue d’ensemble de la vie et de l’œuvre de l’écrivain, célébré encore par des conférences, expositions et autres événements qui font de chaque établissement un véritable foyer culturel, relayé par le blog des Hôtels Littéraires, régulièrement enrichi autour du monde des lettres et des arts.

On aura compris que ces Hôtels Littéraires se positionnent dans un créneau plus culturel que commercial : « Dans le Calendrier 2030 de l’Unesco, la dimension de la culture comme clef de voûte du développement durable est inscrite, avec l’idée de la rendre accessible au plus grand nombre », se persuade Jacques Letertre, qui veille aussi au grain pour les petits déjeuners. Privilégiant le circuit court, les hôteliers valorisent en effet les producteurs régionaux. Ainsi, à Clermont-Ferrand, place au miel de « La Ruche des volcans », aux « Œufs de Léa », à la pâte à tartiner de « L’Artisan Tartineur » et aux yaourts de « La Ferme Bâtisse ». Et au très proustien « Swann » de Paname, impossible évidemment de ne pas succomber à la fameuse madeleine… de Marcel !
LES HOTELS LITTERAIRES
4 villes, 6 écrivains et 6 hôtels pour une collection de 317 chambres quatre-étoiles
. Swann (81 chambres) – 11, rue de Constantinople – 75008 Paris
. Arthur Rimbaud (42 chambres) – 6, rue Gustave-Goublier – 75010 Paris
. Marcel Aymé (39 chambres) – 16, rue Tholozé – 75018 Paris
. Gustave Flaubert (51 chambres) – 33, rue du Vieux-Palais – 76000 Rouen
. Alexandre Vialatte (63 chambres) – 16, place Delille – 63000 Clermont-Ferrand
. Stendhal (41 chambres) – 56, place Mgr Ruch – 54000 Nancy