Un ailleurs enchanteur. En plein pays de Rabelais… et les pieds dans les vignes, le Domaine Grosbois magnifie ses chinons à une table éphémère qui se nourrit de ses propres jardins et élevages.
« Je crois que le bonheur vient aux hommes qui naissent là où on trouve de bons vins », remarquait Léonard de Vinci, qui, de sa Toscane natale à sa Touraine adoptive, connut des jours heureux. Dès lors, faut-il s’étonner que le si fécond Jardin de la France ait aussi inspiré la plume de son plus illustre chantre, ce bon docteur Rabelais qui vanta jusqu’à la lie sa céleste « purée septembrale » : « Notez, amis, que de vin divin on devient, car il a d’emplir l’âme de toute vérité, tout savoir et toute philosophie. En vin est vérité cachée. »
Fils de cette Touraine qu’il magnifia, le père de Gargantua aura été le meilleur promoteur de ses « vins de taffetas » et particulièrement de son chinon, du nom de la « petite ville de grand renom » où il plaça son Saint Graal de la sagesse, autrement dit la Dive Bouteille, au fin fond des Caves Painctes où il but « maints verres de vin frais ».
Des vins d’auteur
Et si, cinq siècles plus tard, il était là, le vignoble le plus français ? Si la France ne devait plus en posséder qu’un seul, dont les vins pourraient encore exprimer son esprit, témoigner de son génie et faire sur eux l’unanimité de ses concitoyens, celui de Chinon s’imposerait peut-être, l’appellation s’étant même hissée, sur une génération, jusqu’à devenir, avec ses 13 millions de bouteilles, la première en rouge de Loire.
Déclinée tant en cuvées de soif, à boire dans leur prime jeunesse, qu’en cuvées de garde (ah ! mes aïeux, le 1989 !), elle rassemble deux cents domaines sur vingt-six communes, de part et d’autre de la Vienne, celle de Panzoult comptant une vingtaine de producteurs, dont le Domaine Grosbois.

Se déployant sur une vingtaine d’hectares autour d’une ancienne ferme fortifiée, c’est aujourd’hui le fief de Nicolas et Sylvain Grosbois, qui, après avoir couru la planète Vin, ont repris les terres familiales – depuis cinq générations – en se tournant vers l’agriculture biologique, la biodynamie et la polyculture, afin de créer à nouveau « le nécessaire équilibre entre les hommes et la nature ».
La culture du vivant
Privilégiant des rendements faibles, de l’ordre de 40 hectolitres/hectare, et l’expression des terroirs, les Grosbois auront vite su s’imposer dans le haut du panier avec des chinons triés sur le palais : dans les 150 000 flacons, vendus à 65% à l’export tant ils méritent parfois un vingt sur vin. Des vins d’auteur qui racontent chaque année « le temps qu’il a fait » et qui ont « la gueule de l’endroit et les tripes du bonhomme ».
Une triple identité qui s’exprime dans toutes les expressions du domaine. De la pulpeuse et soyeuse Glacière – le fruit par excellence – à la plus complexe et généreuse cuvée signature qu’est l’emblématique Gabare, des vins, biens nés et bien élevés dont la quintessence a pour nom Clôture, ce franc cabernet étant tiré d’une parcelle centenaire qui sert aujourd’hui de vigne-mère des nouvelles plantations.
Toutes menées en biodynamie : « Nous exploitons les richesses de la terre pour renforcer les vignes en utilisant des mélanges de plantes infusées ou macérées à la place des engrais industriels. Les pulvérisations respectent un calendrier lunaire afin d’optimiser toutes les interactions entre les vignes, la terre et le ciel. Ces méthodes de culture génèrent des vins plus purs », explique Nicolas, dont le frère, Sylvain, fait valoir cette « culture du vivant » dans les deux autres activités du domaine que sont le maraîchage et l’élevage. Car on est là dans une exploitation quasi autarcique de 50 ha, dont deux de serres et jardins, où Matthieu, le vertueux maraîcher, cultive entre autres 10 variétés d’aubergines, 25 de tomates et 40 de salades.
Une table pour locavores
Des vins, des légumes et des bêtes : l’esprit paysan bio des Grosbois ne pouvait se passer des poules, vaches et cochons, les vertes prairies du domaine accueillant une vingtaine de poules Marans, une vingtaine de vaches Black Angus et une quinzaine de cochons Longué, élevés dix-huit mois en plein air. Des viandes qu’on retrouve dans l’assiette, à deux cents mètres de là, sous l’élégant chapiteau où, depuis le 1er mai, « La Table du Pressoir » régale les locavores, avec Théo Lehrouche aux fourneaux et Chloé Girault au service. Bienvenue à cette table aussi insolite qu’éphémère, puisque vouée à l’été. Bienvenue dans cet ailleurs enchanteur où les yeux en prennent plein la vue. Pin maritime, palmier, figuier… et vignes à portée de bouchon : on dirait le Sud.
A peine attablé que la sérénité vous gagne. La soif aussi, le plus dur étant de choisir son flacon pour donner la réplique à des plats de saison qui ne se la jouent pas et qui subliment la production maison, le carpaccio de betteraves, courgettes, noisettes et burrata crémeuse pouvant même convertir les carnivores… qui préfèreront tout de même la terrine de campagne maison et la saucisse de cochon aux légumes rôtis de la formule du midi (entrée plat à 18 €). A moins de succomber à la carte au tartare ou au tataki de bœuf sauce soja, voire à la pièce de Black Angus grillée, après douze jours de maturation.
La Sybille de Rabelais
Une merveille qui appelle une digestion calme sur les chaises longues de la terrasse panoramique, où le regard se perd jusqu’à la Vienne. Ne reste qu’à se laisser bercer par la torpeur estivale de ce lieu de sérénité où le temps semble prendre son temps. « On a voulu remettre le clocher au milieu du village,
Ramener de l’humain dans le paysage, redevenir des paysans, comme dans l’ère de mes grands-parents. Ce système de polyculture a marché des millénaires », résume Nicolas Grosbois, qui a assurément créé là un domaine de « dimension sociale »… et à « s’en pourlécher les badigoinces », comme aurait dit Rabelais, dont l’un des personnages du « Gargantua », la « Sybille de Panzoust », une illustre prophétesse, est évoqué à quelques ceps de là, par la patrimoniale Cave touristique de la Sibylle. Le long des 70 mètres de galeries souterraines, des jeux de lumières, d’ombres et de formes animées plongent le visiteur dans l’univers rabelaisien, volontiers gaulois. Des moines paillards y ont ainsi le doigt pointé sur le trou. Le trou de la Sybille : « Elle retroussa sa robe, cotte et chemise jusqu’aux oreilles et leur montra son cul », raconta Rabelais. La visite s’accompagne bien sûr d’une dégustation de chinons. Bienvenue, encore, en Rabelaisie.
Informations pratiques:
Jusqu’à fin septembre, du mardi midi au samedi midi, les vendredis et samedis soir
Domaine Grosbois
La Table du Pressoir
2, Le Pressoir. 37220 Panzoult
Tel: 07 75 74 63 20.
tabledupressoir@gmail.com