Un groupe d’agriculteurs du Bassin Parisien a lancé un appel au sursaut de la société civile pour qu’elle sauve son agriculture.

Nombreux sont ceux à penser que l’agriculture française est au bord de l’effondrement, qu’il s’agit même d’un secteur menacé d’extinction d’ici une génération.

En effet la « ferme France » traverse une crise sans précédent qui pourrait conduire à sa disparition dans les vingt-cinq prochaines années. Ce constat alarmant repose sur une triple fragilisation du secteur agricole français, touchant simultanément ses fondements économiques, environnementaux et sociaux.

Les chiffres de la dépendance alimentaire française sont édifiants. Le pays importe désormais 75 % de son blé dur, 70 % de son miel et 56 % de sa viande ovine. Cette tendance s’étend aux produits de consommation courante : la moitié des fruits et légumes (50 %), près de la moitié du poulet (45 %), plus d’un tiers du sucre (37 %) et des produits laitiers (30 %) proviennent de l’étranger. Même les filières traditionnellement solides sont touchées, avec 26 % du porc, 25 % de la farine vendue en grande surface et 22 % de la viande bovine importés.

Cette érosion de la production nationale s’opère dans un contexte de concurrence jugée déloyale, les importations s’effectuant « sans règles de réciprocité réglementaire strictes, ni au niveau européen, ni au niveau mondial », dénonce le secteur.

Sans compter que l’agriculture française fait face à une intensification des aléas climatiques dont les dégâts ne sont que partiellement compensés par les aides publiques. Paradoxalement, les moyens de production se raréfient au moment où les agriculteurs auraient le plus besoin d’outils d’adaptation. L’irrigation, autrefois considérée comme une solution technique, est devenue un enjeu sociétal clivant, compliquant davantage les stratégies d’adaptation au changement climatique.

Mais bien souvent méconnu le défi le plus immédiat concerne le renouvellement des générations. D’ici 2030, la moitié des agriculteurs français partiront à la retraite, sans que leur succession soit garantie. Le climat social « délétère et anxiogène » qui entoure la profession décourage les vocations et complique les installations. Cette équation est simple mais implacable : « Sans agriculteurs, il n’y a pas d’agriculture. »

Lorsque l’on analyse la situation il est possible d’établir un parallèle inquiétant avec d’autres secteurs qui ont disparu du paysage économique français en quelques décennies : le textile, la sidérurgie ou l’électronique. Selon cette logique, « les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’agriculture est aujourd’hui en voie de disparition. »

Ainsi aujourd’hui se pose la question de la souveraineté alimentaire française et interroge sur les mesures d’urgence nécessaires pour préserver un secteur stratégique pour l’indépendance du pays.

C’est dans ce contexte qu’un groupe de 15 agriculteurs du bassin parisien, venus de toutes les filières — maraîchers, éleveurs, céréaliers, coopérateurs, jeunes installés et exploitants en fin de carrière a lancé un « cri d’alerte, un cri d’alarme, un cri du cœur ».

« Nous le faisons hors cadre syndical pour dépolitiser le sujet et revenir à l’enjeu essentiel pour tous les citoyens de ce pays, celui de se nourrir, se vêtir, se déplacer, se chauffer, se loger et se soigner durablement en France, sans dépendre de personne. !, hors cadre syndical pour dépolitiser le sujet et revenir à l’enjeu essentiel pour tous les citoyens de ce pays, celui de se nourrir, se vêtir, se déplacer, se chauffer, se loger et se soigner durablement en France, sans dépendre de personne. Ne laissons pas notre agriculture mourir, c’est une question de souveraineté nationale. »

L’appel

« Mes collègues ici présents et moi vous réunissons aujourd’hui pour pousser un cri d’alarme, un cri du cœur que j’espère vous entendrez.

Nous le faisons simplement dans un bar, dont le nom n’a pas été choisi par hasard « Les Insouciants » car la société civile est aujourd’hui insouciante du risque qu’elle court à ne pas protéger suffisamment son agriculture. Nous le faisons hors cadre syndical pour ne pas politiser le sujet et nuire au débat.

Ce cri, c’est celui de 400 000 agriculteurs, qui seront bientôt 200 000 dans peu de temps et qui voient la ferme France décliner progressivement et la société civile regarder ailleurs. A échéance d’une génération, il y a un vrai risque de disparition de l’agriculture française telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Pourquoi ? Parce que la durabilité de la ferme France repose sur trois piliers : l’économie, l’environnement et le social. Et les trois piliers s’effritent. Nous le constatons tous les jours.

Au niveau économique, la compétitivité de la ferme France est en constant déclin depuis 25 ans. Nous importons aujourd’hui 75% du blé dur, 70% du miel, 56 % de la viande ovine, 50% des fruits et légumes, 45 % du poulet, 30 % des produits laitiers, 37 % du sucre, 26% du porc, 25% de la farine en grande surface et 22 % de la viande bovine. Ces importations se font sans aucune règle de réciprocité règlementaire internationale, dixit le Mercosur, même intra-communautaire, dixit l’acétamipride et avec une distorsion de concurrence concernant la main d’œuvre.

Au niveau environnemental, ai-je besoin de vous parler de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des aléas, dont les dégâts ne sont que partiellement couverts par les aides publiques. Les rendements ont tendance à stagner, nous avons de moins en moins de solutions de traitement des plantes, la fertilisation est limitée, l’irrigation devient un sujet de société et nous n’avons pas accès à toutes les technologies génomiques. Toujours plus d’entraves et d’interdictions sans solutions.

Enfin au niveau social, il ne vous a pas échappé que la moitié des agriculteurs va partir à la retraite à échéance de 2030 avec un renouvellement des générations non garanti, et un climat sociétal extrêmement anxiogène qui n’incite pas les jeunes à s’investir. La majorité de mes collègues hésitent de plus en plus, par bon sens, à aiguiller ses enfants dans la reprise de leurs exploitations. Nous subissons aussi de très gros problèmes de main d’œuvre, tant au niveau du recrutement qu’au niveau du coût par rapport aux pays voisins.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous avons connu dans le passé la disparition de secteurs économiques en l’espace de quelques décennies : le textile, la sidérurgie, l’électronique et bientôt le secteur automobile avec l’arrivée massive des voitures chinoises plus compétitives. L’agriculture prend la même direction et sans agriculteurs, pas d’agriculture.

La souveraineté de la France n’a pas de prix. Cela concerne chacun d’entre nous pour pouvoir demain, grâce à notre agriculture, se nourrir, se vêtir, se déplacer, se chauffer, se loger et se soigner durablement en France, sans dépendre de personne. Le véritable enjeu est là. Ne laissons pas mourir notre agriculture ».

[1] Rapport sénatorial « La compétitivité de la ferme France », 28 septembre 2022

Photo: moisson en juillet dans le Val d’Oise. ©Christophe Hamieau