… et la lumière fut ! A jamais illustre par sa plus belle cathédrale du monde, dont on célèbre cette année le millénaire de la crypte, la capitale de la Beauce brille aussi par son remarquable mapping historique et la flamboyante tenue de soirée de ses vingt-et-un plus beaux sites. Une cité-joyau à sa firmament.
Lumière ! S’il est mot qui symbolise cette ville, c’est bien le premier qu’aurait prononcé Dieu lors de sa création du monde. Une lumière qui, de jour, sublime les 176 vitraux aux teintes bleues de sa cathédrale. « Éminemment représentative du génie des hommes », elle fut la première, en 1979, à être sacrée Patrimoine Mondial par l’Unesco. Reconstruite en vingt-six ans seulement après l’incendie de 1194, elle est le monument par excellence de l’art gothique français.
Comme un phare sur « la lourde nappe et la profonde houle et l’océan des blés », visibles de toutes les routes à 30 km à la ronde, ses deux immenses flèches de 103 et 115 m se détachent de son toit « vert-de-grisé » couvert de 11 000 plaques de cuivre. Attirant plus d’un million de visiteurs, ce joyau de l’humanité vit cette année le millénaire de sa crypte, qui accueille en effet les pèlerins depuis l’automne 1024. Dédiée à la Vierge, qui y compte là 181 représentations, elle a pour inestimable relique son Voile, tissu de soie prétendument porté par Marie le jour de l’Annonciation.
De ses neuf portails à ses quatre mille sculptures et de son labyrinthe de pierre à sa chapelle du Trésor, l’insigne basilique-cathédrale pourrait justifier à elle seule le pèlerinage à Chartres, mais comment ignorer les autres lumières de cette année jubilaire qui se conclura solennellement le 15 août en la fête de l’Assomption, avec messe, procession, vêpres et vénération du Voile.
Une éclatante tenue de soirée
La cité chartraine en rajoute en effet dans la féerie lumineuse avec un mapping vidéo, « Chartres. 1000 ans d’éclat », qui en met plein la vue sur les murs et voûtes du séculaire Enclos de Loëns. Porté par la voix de Stéphane Bern, ce spectacle immersif se veut un « voyage sensoriel à 360 degrés et son spatialisé ». De l’évêque Fulbert à Jean Moulin, en passant par le sacre d’Henri IV, quarante minutes suffisent à résumer avec force et poésie un millénaire d’histoire.
Un captivant kaléidoscope d’images qui se doit d’en précéder un autre, tout aussi éblouissant. A la nuit tombée, en effet, la ville se montre sous un jour nouveau avec une mise en lumière de son riche patrimoine. Laquelle se veut « la plus grande opération du genre au monde » par la conjonction du nombre de ses sites et sa durée, l’événement attirant plus d’un million de visiteurs, d’avril à janvier, de la tombée de la nuit à 1h du matin.
Lancé en 2003, ce « Chartres en lumière » se révèle un enchanteur parcours autour de vingt-et-un lieux emblématiques qui, par la magie d’illuminations statiques par dalle de verre et de scénographies animées, magnifie tant les églises et bâtiments historiques de la ville haute que les ponts et lavoirs de la basse ville… face auxquels il fait aussi bon flâner en plein jour. Des apaisantes rives de l’Eure, plusieurs pittoresques rues pentues remontent ainsi jusqu’à un centre-ville piétonnier où il faut prendre le temps de musarder le nez en l’air, face notamment à l’ancien hôtel des postes que l’architecture prétentieuse fit qualifier à son ouverture, en 1929, de Notre-Dame-des-Postes.
Insolite Maison Picassiette
Du magnifique théâtre à l’italienne au non moins patrimonial marché couvert de type Baltard, nombre d’autres bâtiments retiennent le regard dans ce coeur de ville dont il faut pourtant s’éloigner un peu pour s’extasier rue du Repos sur l’insolite Maison Picassiette. Moins connu que le Palais idéal du Facteur Cheval, cet autre chef d’oeuvre de l’architecture et de l’art naïfs mérite bien plus que ses quelque 40 000 visiteurs.
Constituée de mosaïques de faïence et de verre coulées dans le ciment, elle fut initiée en 1928 par un seul homme, Raymond Isidore (1900-1964), employé communal, d’abord cantonnier, puis balayeur du cimetière… et la plume fertile : « Je voyais des débris de vaisselle briller dans les champs. On jette des choses, des êtres. Moi-même j’ai été un détritus : j’étais dans la misère. J’étais dans la mort puisqu’on m’a mis au service du cimetière, j’étais comme quelqu’un qui est caché, qu’on a caché. Je devais sortir, me sauver de la mort pour rejoindre mon esprit (…) alors que j’ai des capacités pour faire autre chose ainsi que je l’ai prouvé. »
Devant donc son surnom de Picassiette au fait qu’il se procurait ses débris d’assiettes dans les décharges publiques, l’artiste déploya son imaginaire sur tous les supports possibles – murs, sols, plafonds, cour et jardin -, ses rêves nocturnes ayant été la source de son inspiration. N’ayant été médiatisé que dans les années 50, ce maître de l’art brut connut une fin tragique, puisque par une nuit d’orage, en proie à un délire de fin du monde, il s’enfuit de chez lui à travers les champs. Retrouvé et ramené en son univers, il mourra peu après.
Un bleu lumineux
On l’aura compris : que de patrimoine pour une ville de seulement 38.000 âmes. A une heure de Paris, sur les hauteurs de sa charmante rivière, Chartres la bourgeoise se la coule douce dans un art de vivre qui inclut bien évidemment le plaisir des mets, la table étoilée du « Grand Monarque », séculaire enseigne de l’hôtellerie chartraine, et celle du bistrot « Racines », avec terrasse face à la cathédrale, témoignant du bien-vivre ambiant. On s’y pourlèche notamment du fameux pâté de Chartres. Célèbre depuis le XVIIIe siècle, ce pâté en croûte, composé de gros morceaux de gibier (oiseaux migrateurs à l’origine, perdreau, faisan ou cochon fermier aujourd’hui), est désormais enrichi de foie gras. Un délice tel qu’il a été inscrit à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
Laquelle institution n’a toutefois pas labellisé le très floral et doux « Vitrail de Chartres », ce subtil cocktail (gin, fleur de sureau, citron, blanc d’oeuf et thé bleu) rappelant le « bleu roman » du mirifique vitrail de Notre-Dame de la Belle-Verrière, pièce majeure d’une cathédrale à laquelle on revient toujours. Un bleu très lumineux qui, depuis neuf siècles, contribue à faire de Chartres la ville lumière par excellence
Chartres et ses lumières en images
Photos ©Jean-Luc Pechinot