Lors du dîner entre le couple royal britannique et le présidentiel français, le roi Charles III s’est interrogé avec humour sur cette spécificité hexagonale, révélant au grand jour l’existence de l’ASOM, gardienne de l’une de nos traditions culinaires les plus essentielles, l’oeuf mayo !

Il fallait bien un roi d’Angleterre pour révéler au monde entier l’une des plus belles illustrations du génie français : notre capacité à transformer n’importe quel plat, même le plus humble, en patrimoine national digne d’être défendu corps et âme. Le 8 juillet dernier, devant 160 invités réunis à Saint George’s Hall pour un dîner d’État en l’honneur d’Emmanuel Macron, Sa Majesté Charles III a eu ce trait d’humour so british : « Dans quel autre pays au monde pourrait prospérer quelque chose appelé L’association de sauvegarde de l’œuf mayonnaise ? »

La question, posée avec l’élégance britannique habituelle, mérite effectivement qu’on s’y attarde. Car oui, Messieurs-Dames, nous avons bel et bien une association dédiée à la protection de l’œuf mayonnaise. Et non, ce n’est pas une blague de café du commerce.

L’Association de Sauvegarde de l’Œuf Mayonnaise (ASOM) existe depuis les années 1980, fondée par le critique gastronomique Claude Lebey, puis relancée en 2018 par une équipe de passionnés menée par Vincent Brenot, avocat de profession – parce qu’il faut bien un juriste pour défendre les droits de l’œuf dur. Aux côtés de Gwilherm de Cerval, sommelier et journaliste, Pierre-Yves Chupin des Éditions Lebey, et Sébastien Mayol, bistrotier, ils forment le quatuor de choc qui veille au grain… ou plutôt au jaune.

Avec ses 2000 membres, l’ASOM n’est pas une petite affaire. Cette association loi 1901 a pour mission officielle de « promouvoir la tradition gastronomique de l’œuf mayonnaise, la préservation de son authenticité, la valorisation des ouvriers et amateurs y étant fidèles et sa transmission aux nouvelles générations ». Rien que ça.

Une charte plus stricte que celle des droits de l’homme

Parce qu’en France, on ne fait jamais les choses à moitié, l’ASOM organise depuis 2018 le Championnat du monde de l’œuf mayonnaise. La tenante actuelle du titre est Marie Gricourt, du restaurant Le Gric à Orléans, qui peut désormais inscrire sur sa carte de visite « Championne du monde d’œuf mayonnaise ». Le prochain championnat aura lieu en novembre 2025 à Paris, où l’on attend sans doute des délégations du monde entier pour cette compétition d’un niveau stratosphérique.

Car attention, on ne plaisante pas avec l’œuf mayonnaise en France. L’ASOM a établi une charte d’une précision chirurgicale qui ferait pâlir d’envie les rédacteurs de la Constitution. L’œuf doit être « de poule de gros calibre cuit à cœur mais sans excès de façon à ce que le jaune, sans être coulant, conserve du fondant ». La mayonnaise, elle, doit être « maison, souple, nappante et servie en quantité suffisante pour recouvrir toute ou partie de l’œuf, avec un petit surplus permettant de la saucer avec un morceau de pain ».

Et ce n’est pas tout : l’aspect de l’assiette doit être « appétissant et généreux » avec « trois demi-œufs avec leur éventuelle garniture ». Même la température de service est codifiée selon les saisons, « ni trop froide pour ne pas altérer les qualités gustatives, ni trop chaude pour éviter d’altérer la tenue de la mayonnaise ».

L’exception française dans toute sa splendeur

Alors oui, Votre Majesté, vous avez raison de vous interroger. Dans quel autre pays au monde trouve-t-on une association de 2000 membres pour défendre un plat composé d’un œuf dur et de mayonnaise ? Cette question révèle en réalité l’essence même de la France gastronomique : notre capacité à élever au rang d’art ce que d’autres considèrent comme banal.

Car derrière cette anecdote savoureuse se cache une vérité profonde sur notre rapport à la cuisine. En France, il n’y a pas de plat mineur. De la haute gastronomie étoilée à l’œuf mayonnaise de bistrot, tout mérite respect, attention et, apparemment, une association de sauvegarde.

L’ASOM n’est finalement que le reflet de cette particularité française qui consiste à considérer que même les gestes les plus simples de la cuisine méritent d’être perpétués, transmis et perfectionnés. Et si cela fait sourire nos voisins d’outre-Manche, c’est peut-être justement parce qu’ils n’ont pas encore compris que la grandeur d’une nation se mesure aussi à sa capacité à sublimer l’ordinaire.

Alors merci, Votre Majesté, d’avoir rappelé au monde cette évidence : seuls les Français pouvaient inventer l’Association de Sauvegarde de l’Œuf Mayonnaise. Et nous en sommes fiers.