C’est la reine de la basse-cour, élevée comme un coq en pâte. En cette « faim » d’année, Sa Majesté la Volaille de Bresse trône toujours sur les tables françaises. Et jusqu’à l’Élysée !
La volaille de Bresse ou la France par excellence. Car s’il est une volaille en bleu-blanc-rouge, c’est bien celle-là. Patriotique de la crête aux pattes ! Bleu comme ses pattes, blanc comme son plumage, rouge comme sa crête. Cocorico !
Une telle reine tricolore valait bien que la République la couronne dès 1957 d’une AOC (Appellation d’Origine Contrôlée), à l’instar des grands vins français. Elle est d’ailleurs restée la seule volaille d’Europe à jouir de cette distinction, jusqu’à ce que, cet automne, le poulet du Bourbonnais ne la décroche à son tour.
Pas de quoi, pour autant, faire de l’ombre à cette Bresse dont l’histoire s’est esquissée dès les premières sélections de souches, en 1862. Trois ans plus tard, les Glorieuses de Bresse étaient lancées, ce concours voulant que la présidence de la République remette un vase de Sèvres au vainqueur… et que le chapon vainqueur soit servi pour les fêtes sur la table de l’Élysée. De Napoléon III à Emmanuel Macron, la tradition a perduré.
Poule de luxe et fortune des volaillers
Royale consécration pour cette volaille, issue d’une race ancienne à croissance lente, la Gauloise de Bresse dont l’histoire remonte au début du XVIIIe et coïncide avec l’importation du maïs en Bresse. Une poule bien née et bien élevée, les fermières l’ayant nourrie des excédents de petit lait et vendue les jours de marché. Peau fine et nacrée, chair ferme et persillée : la qualité de cette poule de luxe fit la fortune des volaillers, qui la commercialisèrent très tôt bien au-delà des confins de la Bresse.
Le succès fut tel que vers 1930 apparurent les premiers doutes sérieux sur l’origine réelle de certaines volailles dites de Bresse. Aussi, jugeant cette concurrence déloyale, les éleveurs de Bresse se firent entendre dès 1936, lors d’un procès à l’encontre d’un éleveur jurassien, mais il faudra attendre 1957 que le véritable poulet de Bresse porte un scellé tricolore et une bague garantissent son origine. L’AOP européenne suivra vingt ans plus tard.
Double reconnaissance pour une volaille d’exception dont la finesse de chair vient de la combinaison subtile de la race, du terroir et d’une alimentation naturelle à base de céréales et de produits laitiers. Élevée au grand air sur un parcours herbeux d’au moins 10 m2, elle trouve ainsi un tiers de sa nourriture à la carte, d’herbe grasse en vers de terre et mollusques. Au poulailler, elle reçoit un complément gouteux composé à 95% de céréales, surtout du bon maïs du cru, garanti sans OGM. D’une durée d’élevage hors-normes (4 mois pour les poulets, 5 mois pour les poulardes, et 9 mois pour les chapons), la volaille de Bresse finit sa vie avec buffet à volonté, puisqu’après une manucure soignée, elle est affinée en épinette, cette cage en bois l’amenant à parfaire ses rondeurs.
Enveloppée dans une toile végétale très fine
Passée de vie à trépas, on est encore aux petits soins pour elle. Plumée à la main et lavée, elle est ensuite enveloppée dans une toile végétale très fine, cousue comme un corset et serrée très fortement, le corps devenant alors une pièce moulée. Les graisses se répartissent ainsi équitablement et persillent la chair qui devient moelleuse. Ne reste plus dès lors qu’à l’expédier, non sans l’avoir anobli d’une bague à la patte gauche (avec le nom intégral de l’éleveur), d’un scellé tricolore à la base de son cou et d’une étiquette tricolore sur son dos.
Volaille festive par excellence, on comprend que la production s’écoule essentiellement en fin d’année, les Glorieuses glorifiant à la mi-décembre des pièces au toque-niveau. A Montrevel-en-Bresse, Louhans, Pont-de-Vaux et Bourg-en-Bresse, ce sont ainsi plus de 2000 bêtes tirées à quatre épingles qui passent sous l’œil d’un jury qui entend distinguer les plus emblématiques volailles grasses de cette vitrine d’exception dont l’ambassadeur reste depuis des lustres le plus grand toqué de l’Ain, Georges Blanc, triplement étoilé depuis 1981 pour un établissement inscrit au Michelin depuis 1929, soit 45 ans, le record mondial de longévité. Ayant su faire évoluer la filière à travers le cahier des charges et les textes de loi, le cuisinier défend bec et ongles les 126 éleveurs d’une reine des volailles qui mérite assurément d’être traitée en majesté.